Sensei Funakoshi, afin de laisser une trace écrite et de guider les pratiquants dans leur quête d’une compréhension plus approfondie des aspects spirituels de la voie du karaté-do rédigea, au soir de sa vie, ce traité.

Ces maximes succinctes qui s’inscrivent dans le cadre d’une tradition orale étaient originellement destinées à être complétées par des explications du Maître, dans son dôjô ou au hasard de cours particuliers que celui-ci dispensait à ses disciples.

Les principes sont compacts, concis et tendent vers une nature profondément philosophique. Cette même concision fait qu’ils sont sujets à des multiples interprétations et ce même dans leur langue d’origine : le japonais.

Les commentaires et interprétations sont de Genwa Nakasone, contemporain et proche  de Maître Funakoshi. C’est cette position privilégiée aux côtés du Maître qui fit de lui l’une des personnes les plus à même d’illustrer de commentaires les vingt préceptes.

Pour rappel, en matière de philosophie dans le Karaté-Do, vous trouvez le code moral du karaté (que l’on retrouve dans l’ensemble des arts martiaux et basé sur le code du Bushido) et, spécifiquement pour le karaté, les préceptes que Maître Funakoshi nous a laissé.



1. N’oubliez pas que le karaté commence et s’achève par le rei.


Rei = « respect, courtoisie: le salut », mais ne pas le limiter à ces simples définitions. Il signifie le respect que l’on éprouve à l’endroit des autres, le rei est également la marque de l’estime que l’on a pour soi.

Lorsqu’on transfère cette estime que l’on a pour soi sur les autres – respect – on agit conformément aux principes du rei. Les disciplines de combat qui font fi des principes du rei ne sont que pure violence, la force physique dénuée de rei n’est rien d’autre que brutalité, sans valeur pour l’être humain.

Le rei est la manifestation physique d’un cœur sincère, révérencieux et empli de respect.



2. Il n’y a pas d’attaque dans le karaté.


Dans le karaté les mains et pieds sont potentiellement aussi mortels que la lame d’un sabre : c’est pourquoi dans la mesure du possible vous devez éviter de décocher un coup mortel. « Jamais il ne faut tirer son sabre sur un coup de tête », cet enseignement fondamental était au cœur du bushido japonais.

Ainsi « il n’y a pas d’attaque dans le karaté » est une extension de ce principe de base selon lequel il ne faut pas sortir son arme au moindre prétexte. Elle souligne la nécessité absolue de faire montre de patience et de pondération. Mais quand la confrontation est inévitable le pratiquant doit se lancer corps et âme dans le combat.



3. Le karaté est au service de l’équité.


L’équité est ce qui sert le bien, la vertu, « quand je m’observe et que je constate que je suis dans le vrai, alors, mes ennemis, fussent-ils un millier ou dix mille, ne peuvent m’arrêter. Cela implique bien sur qu’il faut faire preuve d’intelligence, de discernement et de force véritable ».



4. Apprends déjà à te connaître, puis connais les autres.


À force de pratique le karatéka connaît ses techniques favorites ainsi que ses propres faiblesses, en combat il doit connaître ses propres points forts mais aussi ceux de son adversaire.



5. Le mental prime sur la technique.


Voila une anecdote qui illustrera cet aphorisme:

« Un jour un célèbre maître de sabre, Tsukahara Bokuden, voulut mettre ses fils à l’épreuve. Pour commencer, il fit appeler Hikoshiro, l’aîné des trois.

En ouvrant la porte du coude, celui-ci la trouva plus lourde qu’à l’accoutumée et, en passant la main sur la tranche supérieure de la porte, constata qu’on avait disposé, en équilibre, un lourd appui-tête en bois. Il l’enleva, entra puis le remit exactement comme il avait trouvé.

Bokuden fit alors venir son fils cadet, Hikogoro. Quand celui-ci poussa la porte, l’appui-tête tomba mais il le rattrapa en vol et le remit à sa place.

Bokuden fit enfin appeler Hikoroku, son benjamin, le meilleur, et de loin, au maniement du sabre. Le jeune homme poussa puissamment la porte et l’appui-tête tomba, heurtant son chignon. En un éclair, il dégaina le sabre court qu’il portait à la ceinture et trancha l’objet avant qu’il ne touchât le tatami.

À ses trois fils, Bokuden déclara: « c’est toi Hikoshiro qui transmettra notre méthode de maniement du sabre.

Quant à toi, Hikoroku, tu conduiras certainement un jour notre école à sa perte et attireras l’opprobre sur ton patronyme. Je ne peux pas donc m’offrir le luxe de garder un individu aussi imprudent dans mes rangs ».

Sur ces vertes paroles il le désavoua.

Cela illustre parfaitement l’importance accrue des facultés mentales sur les facultés techniques.


6. L’esprit doit être libre.


Meng Tsu (philosophe chinois) évoque la quête de l’esprit « perdu » pour mettre un terme à l’errance spirituelle.

Lorsque notre chien, notre chat ou nos poules se perdent nous remuons ciel et terre pour les retrouver et les ramener à la maison, mais il déplore que lorsque notre esprit (qui dirige notre corps) s’égare pour finir par se perdre totalement, nous n’essayons même pas de le remettre sur le droit chemin.

À l’inverse, Shao Yung (autre philosophe célèbre)  soutient que l’esprit a besoin de se perdre, si l’on attache l’esprit tel un chat en laisse, il perdra sa liberté de mouvement.

Utilisez l’esprit à bon escient, laissez-le explorer à sa guise, ne le laissez pas s’attacher ou s’enfermer dans un carcan. Les néophytes exercent souvent un contrôle trop pesant sur leur mental, ils craignent de s’ouvrir au monde et de laisser leur esprit courir librement.

Au cours de l’apprentissage il est préférable de suivre les consignes édictées par Meng Tzu dans un premier temps, pour, dans un second temps, libérer l’esprit préconisé par Shao Yung.



7. Calamité est fille de non-vigilance.


Combien d’accidents sont imputables à la négligence, à l’étourderie.

Le moindre relâchement de l’attention peut réduire à néant les efforts de préparation et de recherche effectuées au préalable, si approfondis soient-ils.

En combat une « préparation bâclée » équivaut à un « désastre »; pour ne pas arriver à de tels extrêmes nous devrions constamment analyser nos actes et faire montre de beaucoup de circonspection en matière de méthodologie.



8. La pratique du karaté ne saurait se cantonner au seul dôjô.


L’objectif du karaté est de polir et nourrir à la fois le corps et l’esprit, s’il commence au dôjô au cours de la pratique, ce travail, ne doit pas s’interrompre en fin d’entraînement. Il faut pratiquer continuellement dans tous les actes de la vie quotidienne.

Une alimentation déséquilibrée, un abus de boisson, des habitudes nuisibles à la santé en général auront des répercussions certaines sur la pratique au dôjô. Ils fatigueront à la fois le corps et l’esprit et détourneront l’adepte du dessein ultime de la pratique.



9. Le karaté est la quête d’une vie entière.


La Voie du karaté est sans fin, c’est la raison pour laquelle un pratiquant sincère pratiquera jusqu’à son dernier souffle.

Dans Hagakure (un ouvrage incontournable pour les adeptes des arts martiaux) le seigneur Yagyu déclarait qu’il ne savait pas comment défaire les autres mais qu’il savait comment l’emporter sur lui-même: être meilleur aujourd’hui qu’hier et meilleur demain qu’aujourd’hui. C’est-à-dire, travailler sans relâche et jusqu’au dernier souffle pour sans cesse progresser.



10. La Voie du karaté se retrouve en toute chose, et c’est là le secret de sa beauté intrinsèque.


Un coup, de poing ou de pied, asséné ou encaissé, peut signifier vie ou mort. Telle est la doctrine au cœur du karaté-dô. Si chaque domaine de la vie est abordé avec un tel sérieux, épreuves et difficultés peuvent être dépassés.

Si un pratiquant affronte chaque difficulté en ayant le sentiment que sa vie entière est en jeu, il réalisera l’étendue de ses propres ressources.



11. Pareil à l’eau en ébullition, le karaté perd son ardeur s’il n’est pas entretenu par une flamme.


L’apprentissage par la pratique revient à pousser une charrette vers le sommet d’une colline. Cessez de pousser et tous vos efforts auront été vains. (proverbe japonais)

L’intégration d’une facette du karaté parmi d’autres, ou une pratique distendue, ne sauraient suffire. Seule une pratique régulière et assidue récompensera votre corps et esprit des fruits de la Voie.



12. Ne soyez pas obsédé par la victoire, songez plutôt, à ne pas perdre.


Savoir uniquement comment décrocher la victoire sans savoir comment perdre revient à se mettre soi-même en situation de défaite, ultimes paroles du shogun Tokugawa.

L’attitude mentale obsédée par la victoire nourrit nécessairement un optimisme excessif qui, à son tour, nourrit impatience et irritabilité.

L’attitude la plus fine consiste, au contraire, à se résoudre fermement à ne pas perdre – quel que soit l’adversaire – en prenant conscience de nos propres forces et en faisant preuve de conviction inébranlable le tout en adoptant une attitude conciliante dans la mesure du possible.



13. Ajustez votre position en fonction de l’adversaire.

14. L’issue d’un affrontement dépend de votre manière à gérer les pleins et les vides (forces et faiblesses).


Les préceptes treize et quatorze évoquent l’attitude mentale à suivre en combat.

Un combattant doit pouvoir et savoir s’adapter à son adversaire, comme l’eau qui s’écoule naturellement du haut vers le bas, le combattant évite les points forts de l’ennemi pour le frapper là où il est vulnérable.

Il doit éviter toute action stéréotypée, le maître mot de sa conduite doit être fluidité, souplesse, adaptation, plutôt qu’inertie et constance.



15. Considérez les mains et les pieds de l’adversaire comme des lames tranchantes.


Un pratiquant sincère de karaté-do saura rendre ces extrémités corporelles aussi dangereuses que des armes blanches, dans cette optique même les mains et pieds d’un non-pratiquant peuvent s’avérer dangereux.

Un néophyte qui s’implique corps et âme dans une lutte pour la vie, sans craindre ni blessure, ni trépas peut libérer une puissance considérable et extraordinaire, et être capable de défaire n’importe qui.

Que l’adversaire soit ou non, initié aux arts martiaux, ne doit en aucun cas nous leurrer sur son potentiel.



16. Faites un pas hors de chez vous et ce sont un million d’ennemis qui vous guettent.

17. Le kamæ, ou posture d’attente, est destiné aux débutants, avec l’expérience, on adopte le shizentai (posture naturelle).

18. Recherchez la perfection en kata, le combat réel est une autre affaire.


Les katas sont la moelle de l’entraînement du karaté-dô, il convient de ne pas les dénaturer et de s’y entraîner conformément à l’enseignement dispensé par le maître.

Anko Itosu disait « Respectez la forme des katas, ne cherchez pas à en travailler l’esthétique ». En combat réel, il ne faut pas s’embarrasser ou se laisser entraver par les rituels propres aux katas, le pratiquant doit dépasser le cadre imposé par ces formes et évoluer  librement en fonction des forces et faiblesses de l’adversaire.



19. Sachez distinguer le dur du mou, la contraction de l’extension du corps et sachez moduler la rapidité d’exécution de vos techniques.


Les combinaisons citées dans ce précepte s’appliquent aussi bien en kata qu’en combat réel.

Si l’on exécute les katas sans combiner la possibilité de moduler l’intensité et le rythme des techniques ou l’alternance extension/contraction, l’exercice perd toute sa valeur.

L’alternance dur-mou, extension-contraction, lenteur-célérité, inspiration-expiration est de première importance en combat et peut déterminer l’issue d’un affrontement.



20. Vous qui arpentez la Voie, ne laissez jamais votre esprit s’égarer, soyez assidu et habile.


Que l’on adopte un point de vue spirituel ou technique le pratiquant ne doit jamais laisser son esprit « s’égarer » et doit être « assidu et habile ».

De nombreux maîtres ont illustrés ce précepte:

«Dès lors, je pratiquai matin et soir avec ferveur afin d’assimiler les principes de la Voie des arts martiaux au plus profond de mon être jusqu’à parvenir, aux alentours de ma cinquantième année, à une compréhension naturelle de ladite Voie. »  Miyamoto Musashi.

«Un merveilleux enseignement vient juste de se révéler à moi » Yamaoka Tesshu, fondateur de l’école d escrime  Mutô-ryû, âgé alors de quarante-cinq ans.

«Je commence enfin à comprendre ce qu’est le blocage au visage» O’Sensei Funakoshi, alors âgé de quatre-vingts ans.

C’est seulement au terme d’une pratique embrassant plusieurs décennies et entretenue par un esprit courageux et intrépide que l’on peut parvenir à assimiler, pour la première fois de son existence les véritables principes régissant la Voie.

Cela met en relief la vanité qu’il y a à croire que l’on pourra devenir maître d’un art martial après 5 ou 10 années de pratique-loisir.

Pareilles superstitions leurrent le pratiquant et salissent la Voie.

Vanité et fainéantise sont des chaînes qui entravent la progression, les pratiquants devraient se livrer à une autocritique de tous les instants et se faire sans cesse violence; jamais ils ne doivent manquer d’être constant jusqu’à avoir un aperçu clair des strates les plus profondes du karaté-dô.



Tous ceux qui ont pour ambition de cheminer sur la Voie devraient faire leurs ces principes.